vendredi 20 septembre 2019
Qui Se Souvient De Beggar Hadda ?
Jamais peut-être une artiste en Algérie n’a été autant ignorée par les médias que cette diva du chant bédouin. En réalité, c'est l'Algérie entière qui devrait avoir honte aujourd’hui de cet ostracisme et de la manière cruelle dont s'est éteinte son étoile.
Née le 21 janvier 1920 à #Dréa chez les #Béni_Barbar, dans la wilaya de Souk Ahras, Beggar Hadda connut un destin tout particulier, une vie tumultueuse, pour ne pas dire tourmentée. La fatalité a fait en sorte que sur le plan personnel Beggar Hadda fut biologiquement stérile et divorcée par deux fois. Issue d'une famille nombreuse et mariée de force à un homme âgé, sans son consentement, à l'âge de 12 ans, par sa mère, elle-même chanteuse, elle s'enfuit du foyer conjugal pour mener une vie aventureuse en animant les fêtes familiales. Elle sera repérée ensuite par son frère aîné et remariée une autre fois dans les mêmes conditions à un militaire qui prendra une seconde épouse. Ne supportant pas de rivale, de surcroît sous le même toit, Hadda décide alors, un beau jour, de prendre son destin de femme en main.
En se moquant du qu’en-dira-t-on, elle s'investit résolument dans (la chanson bédouine) où elle s'affirme très vite avec la troupe de #Boukebche. Viendra sa rencontre, du reste, déterminante sur les hauteurs d'El-Mechroha avec l'homme de sa vie, son flûtiste et futur époux, (Brahim Ben Debbache). Une idylle quasi historique car vécue chaque soir, en direct et même, ô scandale, en public. Au détour de certains couplets tantôt enflammés tantôt mélancoliques, Hadda exprimait, sans ambages, son amour pour Brahim qui lui répliquait par les tonalités de sa gasba. Il faut savoir qu'à ses débuts, Hadda chantait à visage découvert pour les femmes dans les fêtes de mariage et voilée avec un “aâjar” pour les soirées réservées aux hommes. Mais ses admirateurs des deux sexes ne se disputeront pas longtemps la cantatrice qui deviendra, très vite, l'une des premières femmes à chanter en Algérie pour un auditoire aussi bien masculin que féminin. Une révolution à l'époque. Cette mixité avant l'heure était alors impensable même dans les milieux citadins où les orchestres étaient strictement féminins, à l'image des F'kirettes.
Une femme amoureuse
Sur le registre sentimental, Beggar Hadda, femme éprise s'il en est, chantera merveilleusement l'amour dans une langue métaphorique à faire pâlir tous les crooners de la planète.
Jugeons-en par ce court extrait dans lequel ce petit bout de femme se disait capable, pour assouvir son désir, de réduire une montagne en poussières ! Yel Kef Elâali, Twatta ouella n'haddek, khalini n'chouf h'bibi oua naâoued n'rodek, intime-t-elle à un éminent sommet l'ordre de s'incliner afin de lui permettre de voir son bien-aimé. Mais parfois sa voix nasillarde rend cet art sans artifice complètement inintelligible. D'emblée, le dialecte et l'accent de Beggar Hadda renvoient à l'extrême est du pays. La première écoute surprend donc par le timbre spécial de la voix de celle qu'on appelait Hadda “El-Khencha”. Mais cette altération notoire de sa voix est loin de constituer un quelconque handicap pour les initiés. Au contraire, ces derniers y décèlent un charme irrésistible. D'ailleurs, la liste est longue des chanteurs célèbres qui chantent par leur nez. On peut citer, à ce titre, Joe Cocker, Bob Dylan, Tom Waits, etc. De plus, la simplicité des paroles n'ôte en rien à son riche répertoire regorgeant de subtilités et d'une grande sagesse paysanne. Beggar Hadda a bel et bien incarné la femme rurale et le douar (terroir), son lieu d'inspiration. Et si on fait l'effort d'y prêter l'oreille, on perçoit très vite, chez elle, des pointes de lyrisme, de la poésie et surtout beaucoup de vécu. On est bien ici dans l'art brut, sans fioritures, un art utilitaire, et donc forcément universel. Autre particularisme (et non des moindres), celui-ci tient du fait que la contrée d'origine de la diva a longtemps été le théâtre d'atroces combats contre le colonialisme, une résistance plusieurs fois millénaires. Ya Djebel Boukhadra, Jak italian Taha Hajek ! Ya (Ô mont de Boukhadra, l’Italien est venu exploiter tes roches !) Une chanson qui glorifie une grève des mineurs pour laquelle Jean Jaurès avait apporté lui-même son soutien. Il faut ajouter que Beggar Hadda était durant la guerre de Libération nationale une véritable “égérie” des troupes de la fameuse base de l'Est stationées aux confins de l'Algérie. Elle ne chantera pas seulement les faits d'armes et l'héroïsme des djounoud, mais elle pleurera aussi souvent les pertes et les malheurs. Ya djoundi khouya et Damou sayehma bin el ouidène resteront des chants patriotiques qui décriront à jamais la dure réalité du maquis et qui suggèrent souvent la loyauté et même le sacrifice pour une cause juste. En défendant, par ailleurs, des valeurs qui ont galvanisé des milliers de soldats de l'ALN, on peut affirmer que cette grande dame de la chanson bédouine a contribué, pour sa part, à la fondation de ce pays dont elle a admirablement chanté et accompagné la geste nationale. Et pourtant, la célèbre chanteuse mourut mendiante et moitié folle, dans la rue à Annaba en janvier 2000. Sa fin tragique marquée par la sénilité interpelle aujourd’hui encore sur l’ingratitude des hommes et surtout sur la précarité du métier d'artiste en Algérie. Cette descente aux enfers de Beggar Hadda, un cas symptomatique, reflète on ne peut mieux l'état de déperdition dans lequel se trouve la culture d'une manière générale dans notre société.
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